samedi 17 juillet 2010

Karfried G. DURCKHEIM : Le centre de l'être


Karlfried Graf Durckheim est un des derniers grands maîtres spirituels occidentaux du XXème siècle. Il incarne aussi une rencontre entre les spiritualités orientale et occidentale.

Né en 1896 à Munich, il suit des études en psychologie et en philosophie et devient professeur en université. En 1938, il est envoyé au Japon. Il y séjourne durant 7 années au cours desquelles il découvre le Budo (Il pratique le Kyudo.). De retour en Allemagne en 1948, il crée un centre en Forêt Noire où il développe la Personale Leibtherapie, une approche psychothérapeutique qui s'appuie sur l'éveil spirituel comme base de la sérénité et du développement de l'individu : "Qu'est-ce que la voie initiatique? C'est toujours l'effort de l'homme pour se débarrasser d'un voile qui l'empêche de voir et de sentir sa vérité authentique, sa vérité essentielle."


Karlfried Durckheim intègre une grande part des principes spirituels orientaux et particulièrement ceux du bouddhisme zen.
La Personale Leibterapie repose sur une conception de la vie d'où émergent des principes et des concepts qui sont présentés ci-après (à partir d'extraits du recueil Le Centre de l'Être) car ils trouvent une résonance particulière pour tous ceux qui pratiquent un art du Budo.

De fait, ces concepts sont susceptibles d’aider à mieux définir et mieux sentir le travail de recherche que mène tout Budoka.


Être essentiel / être conditionné:


"Comme C. G. Jung, Graf Durckheim dit que la faim et la soif de transcendance ne sont pas imposées à l’homme de l’extérieur, par des systèmes religieux, mais qu’elles s’originent dans l’homme lui-même, dans ce qu’il appelle son Etre essentiel."


"L’Être essentiel est au-delà de toutes les conditions. C’est le noyau qui, en chacun de nous, représente la façon dont l’Être universel voudrait se manifester de façon individuel dans l’existence. Il se voit en opposition avec le moi existentiel conditionné. Cette tension entre ces deux pôles est le problème central de l’homme."


L’autre jour, je demande encore à un maître zen qui vient me voir : « Qu’est-ce que l’état de satori ? » Et voilà qu’il me répond : « Le satori, mais c’est l’état naturel de l’homme ! » L’état de satori, c’est donc l’homme tel qu’il est conçu, et l’enfermement dans la seule conscience objectivante est une déviation de cet état naturel.


Le problème qui se pose à l’homme actuel est de devenir perméable afin de se laisser toucher par ce noyau essentiel.

La question qui se pose est de savoir comment ouvrir l’homme à la possibilité de goûter ce qui est au-delà de sa conscience naturelle.


La relation corps/esprit (développer l’unité entre le corps et l’esprit)


Il nous faut distinguer clairement le corps qu’on « a » et le corps qu’on « est ». Le corps qu’on « est », c’est l’ensemble des gestes par lesquels nous nous exprimons et nous réalisons. Le corps, c’est la personne, en tant qu’être qui vit. La personne vivante est au-delà des opposés corps et âme. Si vous vous effrayez, qui s’effraie ? Le corps ? L’âme ? Vos pensées s’arrêtent, le corps se crispe, mais c’est la personne qui s’effraie et s’exprime sur deux plans : le plan de ce qu’elle sent et sa façon d’être là. Nous pouvons désormais remplacer le mot corps par les mots façon d’être là, dans la visibilité, dans le temps et dans l’espace.


Ainsi donc, jusqu’au bout vous restez celui qui en Occident souligne sans doute le plus que le chemin initiatique passe par un travail sur le corps ?

Oui, parce que l’homme est son corps ! On me demande encore parfois si l’expérience mystique est une expérience spirituelle ou corporelle. Cette distinction n’a pas de sens. Dans une telle expérience, je suis touché d’une certaine façon. Dans une expérience mystique c’est la personne entière qui est touchée.


Chacun de nous, en tant que personne, s’exprime et se réalise dans ce qu’il éprouve et dans sa façon d’être là. Et le corps, c’est la façon dont je m’éprouve et ma façon d’être là. C’est dans cet ensemble de gestes que nous sommes, en tant qu’êtres vivants sur terre, que se réalise l’Être essentiel sous les conditions du temps et de l’espace.


L’éveil spirituel s’accomplit par des exercices


Ce qui m’a particulièrement intéressé, c’est que le zen est une religiosité qui n’est pas basée sur une foi, dans le sens que nous donnons à ce mot en Occident, ni sur des croyances, mais sur une expérience.


Ce qui m’a également beaucoup intéressé, c’est que le zen propose des exercices. Chaque exercice représentant l’effort de mettre en place ce qui permet et favorise la manifestation de ce que les bouddhistes appellent notre vraie nature et que j’appelle notre Être essentiel.

Enfin ce qui m’a étonné, c’est que les activités de la vie quotidienne peuvent devenir exercice sur le chemin.

En ce sens, l’atmosphère du zen n’est pas douce. L’homme du zen lutte dans cette vie. Il n’est pas un contemplatif passif.


Et c’est ainsi que je découvris que dans le zen il y a une façon de s’approcher de la vérité intérieure à travers la pratique d’un exercice corporel, physique, qui tout en ayant l’apparence d’un sport n’en est pas un. Cela m’a beaucoup intéressé qu’un exercice comme le tir à l’arc représente la chance d’un développement de l’homme sur le plan intérieur.


En restant en contact avec ce bois, une demi-heure, parfois une heure, je me suis rendu compte que la profondeur d’une qualité conduit à la qualité de la profondeur.


Rappelez-vous que le geste simple, sans cesse répété, transforme la personne qui le fait. Ce qui importe est le geste juste, le geste pur.


La méditation comme exercice de développement


La respiration n’est pas un instrument qui permet de prendre l’air ! Il s’agit plus de ce mouvement dans lequel l’homme s’ouvre et se referme ; se donne et se retrouve. (…) C’est l’homme qui prend conscience de lui-même à travers sa façon d’être là, sa façon de respirer.


Dans l’ensemble des tâches qu’il nous faut entreprendre pour reconnaître notre Être essentiel, il y a au centre de notre travail la méditation et les activités méditatives.
Le mot méditation ne vient pas de meditare mais de meditari. C’est-à-dire qu’il y a quelque chose qui nous fait marcher vers le centre.

Dès qu’on parle de la méditation en tant qu’exercice, on va se rendre compte qu’elle ne se fait pas dans la tête mais qu’elle concerne l’homme entier. Pour cette prise de conscience de l’homme entier, il faut prendre conscience du corps. Et la transformation que cherche la méditation concerne le corps tout autant que l’esprit humain.


Le Hara comme centre de l’être


Le Hara ! J’ai l’impression que mon livre qui a pour sujet ce que les Japonais appellent Hara est un cadeau pour l’homme d’Occident. Qu’est-ce qui manque le plus à l’homme actuel. C’est le calme intérieur, la sérénité et la joie de vivre. Ces trois qualités ont leur source dans le tréfonds de notre être, dans le Hara, qui n’est pas le privilège des Japonais.


Que ce soit dans l’art floral, le tir à l’arc, l’épée, la danse, le chant ou l’écriture, lorsque vous demandez aux maîtres de ces arts différents quel est le sens de leur travail, ils vont vous expliquer toutes sortes de choses pour vous dire finalement que tout ce qu’ils viennent de dire n’est pas très intéressant parce qu’il n’y a qu’une seule chose qui soit importante : le Hara ! De ce point de vue, le tir à l’arc, préparer le thé, se battre à l’épée, c’est la même chose. La même chose par rapport au même but qui est l’expérience de se situer ailleurs que dans le moi et de gagner ainsi une certaine indépendance et une certaine liberté.

vendredi 9 juillet 2010

Interview de M. Franck LEGER





M. Franck Léger est le créateur du Mawashi-Ryu Karaté-Do, l'art du Hara et de Mawashi-Kamae . Le Do dans le Karaté vous a déjà présenté son site ici et les richesses qu'il contient. M. Léger est une personne très accessible, toujours disponible pour vous rencontrer ou répondre à vos questions. Alors nous en avons profité pour lui en poser quelques-unes.

Le Do dans le Karaté:
M. Léger, vous vous présentez comme un chercheur en karaté. Qu'entendez-vous par "chercheur"?

F.L.: Chaque karatéka essaie de varier un geste, de sentir un mouvement autrement... Beaucoup de pratiquants ont senti qu’un mouvement particulier passe mieux en utilisant une courbe ou comment utiliser leur ventre sur une technique particulière mais ils n’ont pas cherché plus loin dans la majorité des cas.

Un chercheur, dans le sens que je donne à ce terme, a une approche systématique. Cela signifie qu'il suit une méthodologie précise (et si possible exhaustive) qui, dans mon cas, s'applique en deux temps.
En premier lieu, il y a un travail d'analyse systématique portant sur tous les aspects du karaté,
tout d'abord au travers du Bunkai de 15 kata, ce qui implique l'étude de la stratégie et de la tactique. Cette phase de recherche peut amener à remettre en cause la technique si nécessaire, dans le but de l'améliorer (pourquoi telle posture, tel geste ou tel enchaînement doit-il se faire de telle manière. Qu'est-ce qui va le rendre plus rapide, puissant, efficace ?...).
C'est un travail de fond essentiel car à force de s'interroger sur le moindre aspect des kata on en dégage des "clés" (principes) qui quelque fois se dissimule dans un autre kata que celui dont on étudie le bunkai (c'est pour cela que l'on doit étudier plusieurs kata simultanément). On se dirige alors vers ce qui unit telle technique à telle autre ou tel enchaînement à la tactique ou à la stratégie...

Ensuite, débute la deuxième partie du travail. Le chercheur doit étudier comment ce qu’il a trouvé au travers de cette première phase d’étude s'applique pour chaque techniques et dans les tous les aspects des kata. A la fois pour valider ce qu'il a dégagé de la première phase et également pour faire émerger de nouveaux principes fondamentaux qui se retrouvent et s'expriment dans l'ensemble des dimensions du karaté.
Voilà le sens que revêt pour moi le terme de "chercheur" et c'est le fruit de ce travail que je présente dans le Mawashi-Do.

Le Do dans le Karaté:
Un des apports que présente le Mawashi-Do est "Mawashi-Kamae" ou la garde dynamique. Comment avez-vous découvert cette garde? Et pourquoi vous semble-t-elle si primordiale?

F.L.: C'est en étudiant les kata, et en particulier les pivots, que la garde dynamique m'est apparue comme l'élément indispensable à une technique efficace et réaliste.
Dans Heian Shodan, par exemple, il faut se retourner de 180° dans le premier pivot, pour enchaîner avec gedan-barai, mais vous n'êtes pas sensé savoir ce qui va suivre (quel adversaire va attaquer, sous quel angle, avec quelle technique…). Il faut donc à la fois comprendre l’utilisation particulière de ce pivot et trouver le moyen de le faire sans préparer une technique spécifique tout en pouvant réagir face à l’attaque finale. Sachant que l'essence même du kata est de préparer au combat en acquérant les bons automatismes et les bons principes...
Mes réflexions m'avaient amené à m'interroger sur le travail en ligne brisée que l'on apprend généralement lorsque l’on débute (par ligne brisée, j'entends que les gestes (techniques) enseignés utilisent plusieurs courbes successives séparées par des points d'arrêt (par exemple pour gedan-barai, on monte le poing au niveau de la joue où l’on exerce une force pour arrêter le poing puis une autre pour le relancer en sens inverse. Cela ralentit la technique et implique des pertes d’énergie inutiles). J’en avais conclu que pour aller plus vite il faut supprimer ces points d'arrêt ce qui débouche sur l’utilisation de courbes comme la base la mieux adaptée à toute technique.

A partir de là, la question qui se pose est « comment généraliser ce principe et également l’améliorer ». Je me suis alors rendu compte que, pour être encore plus rapide, bénéficier d’une « vitesse initiale » était la meilleure solution.
En analysant les divers pivots et les diverses manières de me retourner j’ai ressenti une coordination particulière qui a débouché sur ce que j’ai défini comme pouvant être une garde dynamique, Mawashi-Kamae.
Je précise que l’utilisation des courbes et de Mawashi-Kamae ne modifie pas les techniques enseignées par les maîtres. En effet, ceux-ci nous montrent comment se fait chaque technique de son point de départ à son point d'arrivée (ce qui ne change absolument pas en utilisant Mawashi-Kamae), mais ne donne pas d'indications particulières sur la manière d’amener le membre au point de départ d'une technique. Et c'est là qu'intervient Mawashi-Kamae.



Le Do dans le Karaté:
Avez-vous pratiqué avec des maîtres japonais?


F.L.: Non. J'ai pu en rencontrer occasionnellement mais je n'ai pas reçu d'enseignement au sein d'une école ou auprès d'un maître.

Le Do dans le Karaté:
Avez-vous pratiqué d'autres arts martiaux?

F.L.: Pas vraiment, j'ai suivi un cours d'Aïkido et fait un peu de Judo dans ma jeunesse. Ensuite je me suis passionné pour le Karate. Plus tard, j'ai eu l’occasion de voir ce que donnerait Mawashi-Kamae dans la grande forme en Taï-chi. Mais je n'ai pas pu continuer bien que le Taï-Chi soit particulièrement intéressant. Cependant on ne peut se passionner pour plusieurs arts martiaux simultanément. La vie m'a apporté le Mawashi-Do...

Le Do dans le Karaté:
Dans quelle mesure le Mawashi-Do peut-il aider un karatéka, quel que soit le style ou l'école à laquelle il appartient?

F.L.: Le Mawashi-Do a pour objectif d'expliquer des principes fondamentaux du karaté. Pour les faire comprendre et les maîtriser, il propose des outils pour maîtriser le travail du ventre, la respiration et atteindre un haut niveau de coordination. Il détaille également des principes pédagogiques. Il s'adresse autant à des professeurs, qui souhaitent les inclure dans leurs cours, qu'à des élèves. Tout pratiquant se retrouve à un moment donné confronté à un de ces principes de base. Par exemple, quel que soit votre style, la bonne maîtrise de la respiration est un point qu'il vous faudra aborder, de même pour le travail du ventre. D'une école à une autre, des techniques ou des principes se retrouvent; le Mawashi-Do propose une approche dynamique dans laquelle chaque technique ou principe peut s'intégrer.
Comme je le dis dans la page d'accueil de mon site : "Il ne s'agit pas d'un nouveau style, c'est plutôt le complément pédagogique permettant aussi bien au professeur qu'à l'élève d'organiser cours et entraînement en solitaire."
J'espère que chacun pourra y trouver de quoi s'entraîner, expérimenter et au bout s'épanouir dans la pratique du karaté.